La villa Divina

Septembre 2017



Avant-propos :

- Aucune information ne sera donnée sur la localisation du site.
- Je ne souhaite pas faire d’échange de lieux.

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Cela faisait quelques temps que je voyais cette villa tourner sur les rares pages urbex que je suis. Avec quelques indices glanés ça et là, j'ai passé beaucoup de temps à la rechercher en parcourant des villes entières et des zones pavillonnaires à n'en plus finir en street view. Puis, après plusieurs tentatives vaines, j'ai décidé d'en parler à un contact avec qui nous échangeons quelques tuyaux et recoupons le fruit de nos recherches. Bingo. Un deuxième contact me confirme l'entrée. Merci à vous.

Ni une ni deux, je planifie une journée la semaine suivante afin de pouvoir m'y rendre, seul. L'accès au lieu est difficile : cette magnifique bâtisse se mérite. Elle appartient en effet à une famille très fortunée qui a les moyens de la faire garder par un maître-chien qui loge juste à côté. Ainsi, il prend un malin plaisir à faire des tours quotidiennement accompagné de ses cerbères afin de dissuader toutes les tentatives d'intrusion. Il n'hésite également pas à faire venir les gendarmes à la vue de la moindre personne suspecte, même lorsque celle-ci n'est pas dans son périmètre. Comme quoi, il y a visiblement encore des gens qui aiment travailler.

Ajoutons à cela un handicap supplémentaire : l'accès à l'intérieur de la villa est compliqué et nécessite pas mal d'acrobaties. C'est pour cela que le lieu est si bien conservé et n'a souffert d'aucune dégradation.

C'est avec ces éléments à l'esprit que je gare ma voiture loin du point d'accès que j'ai en tête. J'entame alors une longue marche à travers des petits chemins broussailleux et des rues peu empruntées. Le moindre bruit me met en alerte et j'ai peur de paraître suspect dès que je croise une voiture. En effet, il fait plus de 30 degrés dehors, je suis en pantalon et sweat, avec un sac à dos et un trépied vaguement masqué dans son sac de transport. J'ai l’impression de me trimbaler avec une pancarte "JE CHERCHE LA VILLA".

Petit à petit, je sors des sentiers balisés pour arriver à me faufiler dans des fourrés et carrément terminer mon périple dans un terrain rempli de ronces. Au bout de quelques enjambées douloureuses, je peux enfin voir au loin les contours de cette construction d'architecte. Je prends le temps de souffler un peu en restant caché derrière un petit arbuste ridicule et à demi mort. La tension mêlée au stress et à l’appréhension fait que je suis en nage. J'écoute, attentif au moindre bruit anormal et surtout au moindre mouvement autour du domicile tant convoité. Personne à l'horizon, le lieu semble anormalement calme. Il ne me reste plus qu'une petite centaine de mètres à parcourir totalement à découvert avant de pouvoir pénétrer dans le jardin. La maison possède une classe un peu désuète et semble en parfait état. Rien que cela confirme l'intérêt du déplacement.

Construite au cours des années 50, elle témoigne de l'histoire d'une famille qui a fait bâtir cette œuvre d'art avec l'aide d'un architecte reconnu pour en faire une résidence secondaire afin qu'elle puisse être occupée occasionnellement par plusieurs de ses membres et leurs familles respectives. Abandonnée depuis quelques décennies, elle reste endormie et silencieuse mais demeure toujours dans le patrimoine familial.

Au pas de course, je me dirige vers le jardin et après quelques enjambées je m'adosse contre une paroi de la résidence et me mets à un angle, dos au mur, tel un Solid Snake eco +, pour me certifier une dernière fois que le gardien n'est pas en train de faire sa ronde par ici. Il n'y a personne. L'accès à l'intérieur sera sportif et surtout parfaitement visible, mais il est trop tard faire demi tour. Je fais une entrée fracassante digne d'un cascadeur au rabais dans la villa. Dieu merci il n'y a pas de caméra cachée pour filmer cet instant mais je ne suis pas rassuré par le bruit de malheur que j'ai fait en me cassant la figure. Je reste immobile quelques instants pour confirmer une ultime fois que je suis bien seul et que je n'ai alerté personne et la visite peut commencer. Mon cœur bat la chamade et je sens la peau de mon visage moite après ce bon coup de chaud.
Je sors mon matériel discrètement puis fais un peu le tour des lieux.

J'arrive dans ce qui était l'ancien salon et l'ancienne entrée officielle. C'est tout bonnement magnifique. On dirait presque que les propriétaires sont partis il y a quelques minutes. Beaucoup de témoignages du passé sont encore présents mais un détail me pose question et me saute aux yeux immédiatement. L'architecture, le piano à queue, les livres et la fontaine à absinthe témoignent d'une vie éduquée, riche et fastueuse. Mais pourquoi diable y a-t-il des tableaux canevas un peu partout, des objets kitschs et des fleurs en plastiques qui pour le coup montrent un aspect très populaire et de mauvais goût ? À ma connaissance, le lieu n'a pas été loué à d'autres personnes qu'à cette famille fortunée. Bizarre.





Secondaire dans un premier temps, elle deviendra, au fil des années, une résidence principale d'un des membres de la dite famille. Destinée à la fête et à la détente, elle doit symboliser la réussite sociale et la modernité. On s'imagine sans mal les réceptions qui devaient être organisées ici. De part son style moderne et original, elle servira d'ailleurs de lieu de tournage pour une publicité d'envergure nationale.

Niveau superficie elle n'est pas excessivement grande mais il est quand même difficile de s'y retrouver. Elle est composée d'une rue intérieure entre deux ailes parallèles desservant des pièces intimes pour chacune des deux familles. D'emblée, en voyant l'architecture générale, je pense immédiatement aux travaux de Le Corbusier.

La cour intérieure, agrémentée d'une façade de béton percée de briques de verre aux couleurs vives et contrastées, possède un aspect kaléidoscopique qui fige la maison dans le luxe des années 50/60. Étroite, construite sur une surface non plane et toute en longueur, elle affiche plusieurs matériaux différents et mise sur les contrastes entre les éléments naturels, l'enduit mural blanc et l'ossature métallique noire. Voici un petit plan pour vous montrer un peu ce qu'il en est :



Comme vous pouvez le voir, les appartements ne sont pas découpés en parties égales. À l'Ouest, sur le plan, on trouve un petit salon, une salle de bain et trois minuscules chambres. Il s'agissait d'une aile un peu plus modeste que la partie Est pour une raison que j'ignore, et qui, elle, comprend cinq chambres, deux plus grandes salles de bain et un salon. La cuisine, le salon collectif et la salle à manger, au sud, constituaient les pièces à vivre communes.

La toiture est séparée des murs par des impostes vitrées qui apportent une sensation de légèreté, l'idée de l'architecte étant de donner une dimension flottante à la maison. Ce point-ci m'amène à être particulièrement vigilant. Toutes ces ouvertures me rendent très visible et je tente au maximum de me mettre dans des angles où l'on ne me voit pas afin de ne pas être dérangé.

Galets, briques, verres colorés, enduits rugueux et bois permettent donc à cette villa d'avoir un style si singulier qui donne tout son intérêt à cette visite. On peut le voir à travers ces deux photos d'une même pièce, attenante au salon avec un style de lambris totalement vintage mais aussi très séduisant et chaleureux. Mention spéciale au jeu de couleur du plus bel effet qui se reflète sur un impressionnant sol, en marbre.



Encore un exemple de canevas de mauvais goût avec une inspiration de Lurçat.



Dans le salon, un signe qu'il y a un peu de passage : beaucoup d'objets, de matelas et de canapés sont entassés dans un coin. De plus, je remarque que par rapport aux rares photos que j'ai trouver de ce lieu, il manque des choses, preuve que quelqu'un y vient de temps en temps.



Affairé à prendre des photos, mon sang se glace lorsque j'entends des bruits de pas à travers la fenêtre, dans le jardin. Il doit très probablement s'agir du gardien qui fait sa ronde, mais il marche drôlement proche des baies vitrées. Je reste silencieux quelques instants et tout un tas de question me traversent l'esprit. "Est-ce qu'il m'a entendu lors de mon entrée dans la maison ? Pire, est-ce qu'il m'a vu ?".
Après quelques nœuds au cerveau, le temps d'entendre les bruits de pas s'éloigner, je continue les photos, dans un mélange de fierté et d'angoisse.

Deux pièces magnifiques s’enchaînent : la cuisine presque entièrement équipée avec les ustensiles adéquats ainsi qu'une salle à manger qui pouvait s'ouvrir sur l'extérieur et possédait son propre four. Je suis littéralement sous le charme.





Après avoir parcouru les pièces communes, je décide de jeter un œil à la jolie cour intérieure le temps de l'immortaliser. Il y a un escalier qui amène au toit qui servait de terrasse. Je pose un œil rapide mais ne m'attarde pas trop pour ne pas me faire repérer (oui, je psychote et c'est ma joie).



Je retourne dans le salon puis je monte quelques marches pour me rendre dans les appartements. C'est assez insolite et plutôt casse gueule mais la maison est construite avec un demi niveau, sous cette forme : 



Là, tout est vide. Rien d'intéressant à se mettre sous la dent. Les chambres n'ont rien de particulier (elles sont même plutôt petites) et le papier peint que l'on voit n'est pas vraiment digne d'intérêt. Ce qui l'est plus, ce sont ces briques colorées que l'on retrouve à nouveau ici et qui donnent une jolie vue sur le patio intérieur.



Des deux côtés, ça donne ça (et oui, je ne fais pas de mise en scène, je n'aime pas toucher les choses sur les lieux que je visite. Vous aurez donc une belle vue sur un aspirateur des 60's) :





Après une visite des salles de bains plutôt neutres et des multiples entrées, retour au salon pour voir cette alcôve, en bois et briques rouges, initialement dédiée à la télévision qui vient sacraliser un nouvel élément de l'habitat mais dont il ne reste plus qu'une étrange machine à coudre et une statuette asiatique.



Un dernier détour par le salon et son magnifique piano. Si vous voulez acheter le canevas présent sur cette photo, votre rêve peut devenir réalité via le site etsy.
Amusant également, un diplôme de l'Ordre International des Anysetiers.



Je ne visiterai pas le jardin même si jadis, plusieurs terrains de tennis et une piscine furent construits mais ils n'ont quasiment jamais servis et ont très vite été recouverts et comblés car peu utilisés par les enfants qui quittèrent le domicile familial rapidement. Pas grand chose à voir donc, et surtout beaucoup trop risqué de croiser le gardien et ses chiens.
Quelques photos d'archives, pour terminer :



La sortie est beaucoup plus glorieuse que l'entrée, et j'ai presque pris le coup de main. C'est d'ailleurs avec une facilité déconcertante que je file par là où je suis entré. Sur le retour, je suis resté sur mes gardes jusqu'à ce que je rejoigne ma voiture, pourtant bien loin du quartier dans lequel je m'étais faufilé.
Assurément l'une des visites les plus intéressantes que j'ai pu faire.

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